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Québec veut légaliser la vente d’électricité entre compagnies privées

Le projet de loi du ministre Pierre Fitzgibbon marquerait la fin du monopole de distribution d'Hydro-Québec.

Le ministre Pierre Fitzgibbon debout derrière un lutrin et avec les bras en l'air.

Le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, Pierre Fitzgibbon, souhaite que le privé s'implique davantage dans la production d'électricité, comme compte le faire TES Canada en Mauricie.

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Le gouvernement Legault prépare une petite révolution, 60 ans après la nationalisation de l'électricité au Québec. Radio-Canada a appris qu'il déposera un projet de loi, le mois prochain, qui légalisera la vente directe d'électricité d'une entreprise privée à une autre, ce qui est pour le moment interdit.

Après avoir encouragé le boom de l'autoproduction privée, Québec passe donc à l'étape suivante. Attendez de voir ce qui s’en vient. Ce n’est que le début!avait prévenu le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, Pierre Fitzgibbon, en novembre dernier.

À l'heure actuelle, seuls Hydro-Québec et quelques réseaux publics municipaux (Hydro-Sherbrooke, Hydro-Jonquière) ont le droit de vendre de l'électricité sur le territoire québécois. C'est ce qu'on appelle le monopole de la distribution.

Les entreprises privées vont prendre les rênes, craint le président du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) pour le Québec, Patrick Gloutney, qui représente la majorité des travailleurs de la société d'État.

Le monopole d'Hydro-Québec vient carrément d'exploser.

Une citation de Patrick Gloutney, président du Syndicat canadien de la fonction publique pour le Québec

Au début du mois, le SCFP a lancé une campagne de publicité où 16 000 syndiqués d'Hydro-Québec mettaient en garde contre la place grandissante du privé dans le secteur de l'électricité.

Trois employés d'Hydro-Québec au sol regardent vers le ciel.

Le SCFP représente à Hydro-Québec les monteurs de ligne, les électriciens, les travailleurs de métiers, le personnel de bureau, les techniciens, etc.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Ce qui va changer avec le projet de loi

Selon nos sources, qui ont participé aux préparatifs du projet de loi, le ministre Fitzgibbon veut modifier la Loi sur la Régie de l'énergie, notamment l'article 60.

Présentement, la loi permet à une entreprise de produire sa propre électricité, mais elle ne peut l'utiliser que pour ses propres besoins. Elle n'a pas le droit de la distribuer.

Une seule exception est possible : l'électricité issue de la biomasse forestière peut être vendue directement à un consommateur, pourvu qu'il soit situé sur un emplacement adjacent au site de production.

Le gouvernement veut permettre à tous les producteurs d’énergie renouvelable (éolien, solaire, petit barrage...) de profiter de l'exception accordée à la biomasse.

Au passage, le terme « adjacent » serait remplacé par le concept de « proximité », qui éviterait aux distributeurs privés de devoir vendre uniquement à leur voisin immédiat. Reste à savoir quelle serait la limite de la définition de proximité.

Vue aérienne du parc industriel et portuaire de Bécancour.

Le parc industriel et portuaire de Bécancour accueillera plusieurs usines de la filière batterie.

Photo : ProjetBécancour.ag

Une source au gouvernement donne l'exemple d'un parc industriel, comme celui de Bécancour, en plein développement avec la filière batterie. Un producteur d'éoliennes (ou autre énergie verte) installé sur place ou à proximité pourrait ainsi alimenter les usines du secteur.

Le transport de cette électricité d'une entreprise à une autre se ferait soit directement, avec un réseau de transport privé, ou en utilisant le réseau de transport d'Hydro-Québec, en échange d'une redevance.

Ces contrats d'achat d'électricité, actuellement interdits, entre un producteur d'énergie renouvelable et un utilisateur s'appellent, dans le jargon, des « power purchase agreements » (PPA).

Le ministre Fitzgibbon en faveur des contrats d'achat

Pour les PPA, le ministre a déjà indiqué publiquement à plusieurs reprises son ouverture à l’idée de permettre la conclusion d’ententes privées entre des producteurs privés et des grands consommateurs, écrit par courriel le cabinet du ministre Pierre Fitzgibbon, qui se trouve présentement à Davos, en Suisse, pour le Forum économique mondial.

Si le gouvernement choisissait de faire les changements législatifs en ce sens, ces ententes seraient encadrées par la Régie et nécessiteraient l'appui d’Hydro-Québec, car elles devraient utiliser son réseau de transport.

Une citation de Rosalie Tremblay-Cloutier, conseillère politique au cabinet du ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie

Aucune décision n'a été prise à ce sujet, assure le cabinet du ministre, qui promet un dépôt de projet de loi prochainement.

Au gouvernement, on insiste sur le fait que les projets privés d'électricité évitent d’utiliser les ressources limitées d’Hydro-Québec et [se font] sans contribution financière du gouvernement et d'Hydro-Québec.

Nous sommes dans un contexte de resserrement de l’offre et de la demande; il faut être stratégiques, mais aussi rigoureux, pour assurer la sécurité énergétique, ajoute le cabinet du ministre.

Des dizaines d'éoliennes dans un champ couvert de neige.

Actuellement, la production éolienne est déjà assurée par le secteur privé au Québec, mais pour le compte d'Hydro-Québec, qui distribue cette électricité.

Photo : afp via getty images / Jonathan Nackstrand

Hydro-Québec ouverte au changement, à certaines conditions

L'incapacité de la société d'État à fournir de l'électricité à tous les projets industriels est à l'origine de la réforme envisagée.

Hydro-Québec a annoncé, en novembre, un gigantesque plan de développement de la production d'électricité pour ajouter jusqu'à 9000 MW à son réseau d'ici 2035, soit l'équivalent de construire cinq complexes de la Romaine en 12 ans. Mais ce n'est pas suffisant pour répondre à tous les besoins des industries.

Plus de 150 entreprises ont demandé au gouvernement un accès à un total de 30 000 mégawatts (MW) du réseau public. Québec n'a pu distribuer que 956 MW à 11 entreprises. Et il reste seulement 500 MW à partager d'ici 2028.

Sans l'ajout de la production privée d'électricité, des projets risquent d'être retardés, voire annulés. C'est la raison pour laquelle des compagnies comme TES Canada, en Mauricie, ou Rio Tinto, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, veulent produire, elles-mêmes, de grandes quantités d'électricité éolienne.

Michael Sabia assis à une table.

Michael Sabia, PDG d'Hydro-Québec (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

L’autoproduction peut jouer un rôle, reconnaît Philippe Archambault, chef Médias et affaires gouvernementales à Hydro-Québec.

Nous devons travailler avec le gouvernement et les entrepreneurs pour que les projets d'autoproduction et de corporate PPA, si le gouvernement décide de changer la loi sur ce type de contrat, soient analysés adéquatement et qu'ils se réalisent de la bonne manière, au bénéfice de tous et sans impacts sur les tarifs, sur les chaînes d’approvisionnement et sur la sécurité énergétique du Québec.

Une citation de Philippe Archambault, chef Médias et affaires gouvernementales, à Hydro-Québec

La société d'État y va toutefois d'une mise en garde : Les chaînes d’approvisionnement (équipements) et la main-d’œuvre étant limitées, les ressources utilisées pour les projets privés (par exemple, une turbine ou la main-d’œuvre en construction) ne sont alors plus disponibles pour les projets publics. Une très grande collaboration est donc requise.

Bonne ou mauvaise idée?

Selon le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau, c'est une bonne chose que le secteur privé fasse ces investissements.

Si certaines personnes veulent surconsommer, qu'on les laisse surconsommer, mais à leurs frais. Qu'elles trouvent un fournisseur d'électricité qui leur vend l'électricité selon les termes que le marché dicte.

Une citation de Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal

Selon le professeur Pineau, rien ne justifie qu'on empêche un producteur d'électricité de revendre à quelqu'un d'autre, dans l'état actuel de la situation énergétique au Québec. Il pense que ça n'empêchera pas du tout Hydro-Québec de fournir de l'électricité à faible coût aux Québécois.

Pierre-Olivier Pineau (à gauche) et Patrick Bonin (à droite).

À gauche : Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal. À droite : Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace Canada.

Photo : Radio-Canada / Étienne Côté-Paluck

Le responsable de la campagne Climat-Énergie pour Greenpeace Canada, Patrick Bonin, pense au contraire que ces changements seraient inacceptables, parce que c'est un bien public, cette électricité : Ce gouvernement n'a pas été élu avec le mandat de démanteler l'héritage de René Lévesque.

Ce qu'on risque de voir, c'est littéralement l'anarchie énergétique, avec des projets un petit peu partout, qui vont se répandre au gré des besoins des entreprises.

Une citation de Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie pour Greenpeace Canada

Même si les projets devraient être soumis à l'examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), M. Bonin craint que ces entreprises s'approprient les meilleurs sites de gisement éolien et regrette qu'il n'y ait pas eu de débat public à ce sujet.

Autre inquiétude de Greenpeace : Une pression à la hausse sur les tarifs de tous les autres [consommateurs], car ces entreprises vont se soustraire au maintien et au développement du réseau d'Hydro-Québec, dont on a besoin pour faire la transition énergétique.

Cette crainte est partagée par Jean-François Blain, analyste indépendant en réglementation de l'énergie. Avec des industriels qui achètent de l'électricité hors du réseau public, Hydro-Québec devrait récupérer ses coûts sur des volumes de vente en baisse, ce qui se traduirait inévitablement par une hausse des tarifs puisque le fardeau des coûts [...] serait supporté par le reste des clients.

La vente des surplus facilitée

Selon nos informations, le projet de loi devrait aussi faciliter la vente de surplus des producteurs privés à Hydro-Québec. C'est actuellement possible, dans certaines circonstances, avec l'aval de la Régie de l'énergie. Par exemple, Rio Tinto, qui possède des barrages, a déjà vendu de l'électricité à Hydro-Québec. Mercredi, Québec a annoncé que Produits forestiers Résolu, qui a aussi ses barrages, allait en vendre à la société d'État.

Des pylônes et des lignes de haute tension.

Hydro-Québec veut construire 5000 kilomètres de lignes de transport supplémentaires d'ici 2035.

Photo : Source : Hydro-Québec

Le défi du transport de cette électricité

Le réseau d'Hydro-Québec est déjà très occupé et le défi du transport de cette électricité entre entités privées n'est pas à prendre à la légère dans la réforme à venir.

Certains industriels des énergies renouvelables poussent pour que l'électricité produite par le privé puisse traverser le Québec et même les frontières pour être vendue. Pour eux, ce serait plus profitable de payer un droit de passage que de devoir bâtir leur propre réseau de transport privé.

Cette redevance pour utiliser le réseau de transport public, inspirée de ce qui se fait en Europe, est appelée dans l'industrie un « timbre poste ».

Est-ce qu'un parc éolien ou solaire à Sept-Îles pourrait signer un contrat d'achat direct avec un client industriel à Rouyn-Noranda? On ne semble pas en être rendu là au gouvernement, puisque, selon nos sources, c'est le principe de proximité entre producteur et acheteur qui est privilégié.

René Lévesque gesticule devant une carte du Québec.

René Lévesque, alors ministre des Richesses naturelles, explique les avantages de la nationalisation de l'électricité proposée par les libéraux dans le cadre de la campagne électorale de 1962.

Photo : Radio-Canada

En 1962, René Lévesque, alors ministre des Richesses naturelles au sein du gouvernement libéral de Jean Lesage, avait prononcé un discours marquant à l'occasion de la Semaine nationale de l’électricité. Les archives du site web d'Hydro-Québec nous rappellent que, devant les dirigeants des entreprises privées d’électricité, il avait décrit la situation au Québec comme un fouillis invraisemblable et coûteux.

Il dénonçait notamment l’enchevêtrement des responsabilités des distributeurs privés, des coopératives d’électricité, des réseaux municipaux et des autoproducteurs.

René Lévesque concluait qu'il fallait confier à Hydro-Québec la responsabilité du développement ordonné des ressources hydrauliques et de l’uniformisation des tarifs d’électricité dans tout le Québec.

L'an dernier, les revenus de la société d'État lui ont permis de verser un dividende de 3,4 milliards de dollars au gouvernement du Québec, le plus élevé de son histoire, ce qui contribue au développement socioéconomique de la province.

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