Emmanuel Macron veut mettre la pression sur les demandeurs d'emploi, et notamment ceux qui ne cherchent pas activement un travail. Fidèle à sa logique des droits et devoirs, le chef de l'État s'est agacé de constater que trop d'offres d'emploi restent non pourvues par les demandeurs d'emploi « une situation qui heurte le bon sens », selon lui. Et d'annoncer une suspension des allocations chômage des inscrits à Pôle emploi qui ne pourraient pas "justifier d'une recherche active".
D'éventuelles sanctions... qui existent déjà
Dans les faits, c'est déjà le cas. Pour rester inscrit à Pôle emploi et percevoir une allocation, un chômeur doit être capable de justifier sa recherche d'emploi. Lors d'un premier manquement, il peut voir son indemnité suspendue temporairement. Un barème est établi : un mois de suspension d'indemnité au premier manquement, deux mois au deuxième manquement, et quatre mois au troisième. La radiation peut in fine être prononcée.
Reste que, pour définir ces manquements, encore faut-il se référer au poste recherché par le chômeur, tel qu'il l'a défini lors de son inscription, avec son conseiller Pôle emploi. Pour caricaturer, si le demandeur d'emploi a acté qu'il recherchait un poste à temps plein à 10.000 euros par mois, à trois minutes de chez lui, et que Pôle emploi lui propose à une offre qui ne répond pas à ces critères, il ne sera pas inquiété.
Dans ce cadre, Emmanuel Macron a cependant promis de renforcer les contrôles. Pour que ces dispositifs soient effectifs. « Nous vérifierons les actions du demandeur d'emploi sur sa recherche d'emploi, ses actions de formation pour créer ou reprendre une entreprise », explicite son entourage.
Ce mercredi matin, sur France Info, Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, précisait « qu'il y aura une hausse de 25% des contrôles dans les six prochains mois », pour être portés à 250.000. Et d'ajouter que les renforcements seront surtout ciblés sur les métiers en tension, l'hôtellerie-restauration ou le bâtiment.
À peine 600 conseillers de Pôle emploi sont dédiés au contrôle
Mais Pôle emploi aura-t-il seulement les moyens de réaliser cette montée en charge? Aujourd'hui, sur les 55.000 agents que compte l'organisme public, seuls 600 sont spécifiquement dédiés aux contrôles.
Faut-il alors s'attendre à des redéploiements? Sachant qu'aujourd'hui, les conseillers sont souvent débordés et gèrent parfois des portefeuilles de plus de 250 inscrits. Sans compter qu'au sein de Pôle emploi, cette mission n'est pas très populaire.
« Les agents ne veulent pas se transformer en "flics", il y a de fortes réticences à basculer sur ces postes », reconnaît un membre éminent de Pôle emploi.
Des menaces sans poids face aux 60% d'inscrits qui ne touchent aucune indemnité
L'institution va-t-elle piocher dans les rallonges d'effectifs obtenues avec la crise, et les 1.000 conseillers supplémentaires ? La majorité d'entre eux sont normalement dédiés à accompagner les jeunes ou les chômeurs de très longue durée.
Enfin, si l'idée de suspendre les allocations en cas de manquement à la recherche d'emploi vise à inciter les demandeurs d'emploi à prendre un poste, ce levier est loin de pouvoir fonctionner sur tous les inscrits à Pôle emploi. Et pour cause, 40% d'entre eux seulement perçoivent une allocation(*). Les autres sont bel et bien dans les fichiers du service public, mais sans être indemnisés.
Salaires, conditions de travail: l'attractivité des postes passée sous silence
Au-delà de ces données, reste la question de l'attractivité des emplois, que le président de la République n'a pas évoquée dans son allocution. Alors que son ministre de l'Économie, Bruno Le Maire enjoignait à la rentrée, les patrons à relever les salaires et à revoir les conditions de travail, Emmanuel Macron n'a pas souhaité relancer l'appel. C'est pourtant un point clef pour faire baisser le chômage.
Dans l'hôtellerie-restauration par exemple, le secteur a toujours eu dû mal à embaucher. Mais il observe qu'avec la crise Covid, plus de 200.000 salariés ont quitté la filière sans y revenir. La faute à des salaires jugés trop bas, et des conditions de travail trop difficiles. Aussi, la fédération professionnelle des employeurs a-t-elle engagé des négociations dans lesquelles elle met sur la table jusqu'à 9% d'augmentation des rémunérations, mais aussi une réflexion autour des temps de repos, etc. Du jamais-vu. Les discussions sont en cours et la prochaine séance est prévue le 18 novembre. Si elles aboutissent, elles devraient permettre d'attirer les candidats.
Du côté du bâtiment, les pénuries de main-d'œuvre sont encore légion, mais on se félicite d'enregistrer un solde net de 70.000 salariés en plus cette année. Et ce, grâce à un travail de fond pour mieux présenter les avantages des métiers - et pas uniquement mettre en avant leurs conditions de pénibilité -, mais aussi par des propositions d'emploi majoritairement en CDI, une protection sociale intéressante et des rémunérations dans le secteur en moyenne supérieures à 10% du SMIC.
Quid de l'âge, premier frein à l'embauche ?
Enfin, il est un autre sujet que le chef de l'État n'a pas abordé lors de son intervention télévisuelle et qui, pourtant, permettrait de faire baisser le chômage : les discriminations à l'embauche. Couleur de peau, origine, religion, sexe pèsent sur les recrutements. Et notamment, l'âge, qui reste le principal frein à l'accès à un travail. Aujourd'hui, près de 42% des cadres inscrits à Pôle emploi ont plus de 50 ans.
Et quand un senior perd son travail, il reste en moyenne deux fois plus longtemps à Pôle emploi que les plus jeunes. Ce travers est un phénomène culturel, sociétal, sur lequel les politiques ont peu de prise, mais c'est une très forte entrave au retour à l'emploi.
De nombreux doublons dans les "offres d'emplois sans réponse"?
Enfin, Emmanuel Macron a promis que « Pôle emploi passera en revue les centaines de milliers d'offres sans réponse ». Le chef de l'État s'expose à découvrir qu'il y a en réalité, nettement moins d'offres que supposé. En effet, alors que le chiffre de 1 million d'offres d'emploi non pourvues a beaucoup circulé ces derniers mois, il serait composé, selon les syndicats, de nombreux doublons. Et ce, à cause du dispositif d'agrégation de plusieurs sites d'annonces de Pôle emploi. En d'autres termes, une même annonce déposée sur plusieurs plateformes peut être comptabilisée plusieurs fois.
Autant d'éléments qui portent à croire que les annonces du chef de l'État en matière de travail avaient plus des visées politiques que réellement économiques.
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