Le bitcoin est-il une monnaie ?

Le Bitcoin révolutionne notre rapport à la monnaie en dématérialisant et digitalisant les moyens de paiement. ©Getty - Chesnot
Le Bitcoin révolutionne notre rapport à la monnaie en dématérialisant et digitalisant les moyens de paiement. ©Getty - Chesnot
Le Bitcoin révolutionne notre rapport à la monnaie en dématérialisant et digitalisant les moyens de paiement. ©Getty - Chesnot
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Les cryptomonnaies semblent s'imposer de plus en plus au sein du paysage économique, monétaire et financier international. A l'image du Bitcoin, une révolution numérique s'opère au cœur même de l'architecture monétaire, renforçant les débats autour de sa légitimité ou de sa régulation.

Avec
  • Nicolas Dufrene Haut fonctionnaire, spécialiste des questions institutionnelles, monétaires et des outils de financement publics, et directeur de l’Institut Rousseau
  • Ludovic Desmedt Professeur d’économie à l'Université de Bourgogne
  • Alexandre Stachtchenko Cofondateur de la startup Blockchain Partner et président de l'association Chaintech

Alors qu'un bitcoin ne s’échangeait que pour quelques centimes au moment de sa création en février 2009, celui-ci vaut aujourd'hui plus de 40 000 dollars, illustrant ainsi l'engouement en faveur de cet instrument monétaire qui révolutionne les rapports qu'entretient le monde de la finance et de l'échange au digital et aux nouvelles technologies. 

Première “monnaie cryptographique” créée sur la base de la technologie blockchain, par la ou les personnes se cachant derrière le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, le bitcoin propose depuis sa création un système monétaire solide mais indépendant de la supervision des États.

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Dans le sillage du bitcoin, plus de 1000 cryptomonnaies ont vu le jour, bien qu'elles ne soient pas dotées de la même ambition internationale.
Malgré ce foisonnement, le bitcoin reste de loin au centre de l’attention de ceux qui s’intéressent au cryptomonnaies , sans doute parce qu’il était le premier à se lancer, qu’il concentre la communauté d’utilisateurs la plus importante et que sa technologie est la plus “pure”... Entre janvier et juin 2021, le nombre d'utilisateurs de cryptomonnaies a été multiplié par deux pour passer à 221 millions, pour 114 millions pour le bitcoin.
C'est cette cryptomonnaie que le Salvador a choisi de valider comme monnaie nationale officielle en 2021 sous l'égide de son président Nayib Bukele. 

La question que l'on se pose est donc celle de l'usage qui pourra être fait et sera fait du bitcoin dans les prochaines années. L’exemple du Salvador sera-t-il suivi ? Le bitcoin peut-il avoir un usage dans les pays de l’OCDE en dehors de placement financier ?

Le Bitcoin est-il une monnaie ? 

Au moment de son apparition dans le débat public, le bitcoin a été critiqué par de nombreux économistes sur sa capacité à jouer le rôle d’une monnaie. Selon eux, la variabilité trop forte du bitcoin l’empêchait de remplir les trois rôles de la monnaie : une unité de compte, permettant de mesurer la valeur relative de biens très différents, un instrument de paiement permettant d'acquérir n'importe quel autre bien en échange et une réserve de valeur liquide, permettant de stocker sa richesse sur le moyen ou le long terme.

Le Salvador a pourtant franchi le pas, en adoptant le bitcoin comme monnaie officielle, en l’ajoutant au dollar américain jusqu’ici seul en usage. Le bitcoin répond donc maintenant au premier et au deuxième rôle de la monnaie, au moins au Salvador, puisqu’il est utilisé quotidiennement par la population locale. Ils ont accès gratuitement, en prouvant leur nationalité, à une application smartphone leur permettant de payer en bitcoin presque partout.

Mais le prix des biens payés en bitcoin varie encore très rapidement, en fonction de la date et de l’heure des achats réalisés. Si les coûts de transaction sur chaque achat sont très faibles, les variations du cours par rapport au dollars peuvent rendre les biens plus ou moins accessibles en fonction des moments.

Comme pour chaque monnaie, l’enjeu central reste celui de la confiance que lui accordent ses utilisateurs. Le caractère inviolable et décentralisé de la blockchain garantit ainsi la confiance dans les transactions qu’elle permet. Dans les États de l’OCDE, les monnaies sont adossées à des institutions solides, réputées solides, crédibles et stables. Les monnaies qu’émettent les Banques Centrales dans ces États (Euro, dollars, yuan…) jouissent ainsi d’un taux de confiance presque absolu de la population. Passer du système de paiement actuel au bitcoin dans un pays comme la France peut alors sembler saugrenu.

Cette approche est moins évidente dans les pays où les institutions sont faibles. De nombreuses monnaies ont perdu complètement la confiance des populations qui l'utilisent, la faisant plonger dans une volatilité au moins équivalente à celle du bitcoin [Dollars zimbabwéen, bolivar…]. 

Pour de tels pays, l'adoption de ces nouvelles monnaies permettrait donc de s'affranchir des monnaies souveraines étrangères (le Salvador utilise le dollars américain depuis 2001, abandonnant sa monnaie nationale, le Colon) sans devoir recréer une institution monétaire souveraine et la confiance en elle. Elle permet aussi de faciliter la bancarisation de la population, si la population n’a pas accès à un système bancaire efficace ou suffisamment abordable. 

Quelle souveraineté monétaire face au Bitcoin ? 

Monnaie ou pas, il est un point sur lequel on peut s’accorder, le bitcoin n’est pas une monnaie souveraine. Les États n’ont pas la possibilité d’influer sur son cours, sur son émission, sur la surveillance des échanges.

C’est sans doute pour cette raison que les banquiers centraux et les responsables politiques de ces pays militent pour une régulation accrue des cryptomonnaies, et multiplient les messages de mise en garde pour ceux qui investissent dans ces actifs. C’est par exemple le cas en France avec la loi PACTE qui a encadré drastiquement l’activité autour des crypto-actifs. 

La supervision des transferts est défendue par les États comme le moyen de garantir leur sécurité pour ceux qui les réalisent, et de limiter la possibilité d’une utilisation par les réseaux mafieux ou illégaux. 

C’est évidemment particulièrement complexe face à une technologie spécifiquement conçue pour éviter toute supervision. On peut noter que l’apparition du bitcoin a déjà bousculé l’ordre établi autour de l’émission de monnaies, poussant les banques centrales à innover, repenser leur cadre de pensée. On le voit notamment avec l’Euro numérique que la Banque Centrale Européenne prévoit de lancer en 2026.

Il est pourtant possible que, malgré cette défiance, le bitcoin joue un rôle de plus en plus important dans la souveraineté internationale des États

Alors que pour Nicolas Dufrêne, Économiste, directeur de l’Institut Rousseau, il est absolument essentiel de réguler, voire d'interdire le Bitcoin de par son rôle structurant au sein de l'économie souterraine et son caractère spéculatif, Alexandre Stachtchenko, Directeur Blockchain & Cryptos chez KPMG France, et cofondateur de l’ADAN, cofondateur de Blockchain Partner défend, au contraire, l'importance de nous appuyer sur cet outil monétaire révolutionnaire pour renforcer l'efficacité et l'accessibilité du système financier aux individus.
Nous avons également le plaisir de recevoir Ludovic Desmedt, professeur d’économie à l’université de Bourgogne. 

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