Alors que le contexte sanitaire perturbe l’activité économique depuis près de 18 mois au niveau mondial, les sociétés du CAC 40 ont enregistré de bons résultats au premier semestre 2021, effaçant au passage les effets de la crise. Cette relative bonne santé financière se retrouve notamment dans les fluctuations du CAC 40, qui, bousculant toutes les prévisions, dépasse aujourd’hui la barre des 6 800 points et se rapproche de son plus haut historique du 4 septembre 2000. En considérant le réinvestissement des dividendes distribués, le CAC 40 GR (Gross Return) a même plus que doublé en deux décennies ! Sachons raison garder. Le mouvement n’est pas exclusivement parisien, il bénéficie à l’ensemble des pays développés.

Filtre déformant

Bien que la bourse soit un filtre déformant qui survalorise la performance financière et ne rend compte qu’imparfaitement de la taille, des parts de marché, etc. des entreprises, le « retour vers le futur » de l’indice boursier parisien invitent à jeter un clin d’œil sur la transformation, en deux décennies, du grand capitalisme français mais à rappeler aussi que le monde des affaires évolue, en France, à deux vitesses.

→ DEBAT. Comment expliquer les profits records du CAC 40 ?

Tout d’abord, la relative stabilité de la composition du CAC 40 (près de 60 % des entreprises qui le composaient le 4 septembre 2000 y figurent encore aujourd’hui) ne doit pas nous faire oublier que l’absence de 15 groupes nous rappelle les malheureux et inévitables événements qui rythment la vie des groupes et secteurs fragilisés.

Souvenons-nous des firmes qui ont été absorbées et dont le nom a disparu (AGF absorbées par Allianz, Alcatel par Nokia, Aventis par Bayer et Sanofi), de celles dont le contrôle a changé (Lafarge, Crédit lyonnais), de celles qui ont recentré leur activité (Alstom, Thomson Multimedia) et, enfin, de celles qui ont été touchées par la crise de 2008 (Dexia).

À l’opposé, les entrants illustrent les nouveaux vents porteurs du « capitalisme à la française ». Certains d’entre eux ont grandi soit par croissance externe (Arcelor-Mittal, Pernod-Ricard, Unibail-Rodamco-Wes), soit en se développant dans l’ingénierie informatique ou dans les services digitaux de haute technologie (Atos, Dassault Systèmes, Safran, Worldline), soit en s’affirmant dans le luxe haut de gamme (Hermes).

→ ENTRETIEN. Louis Gallois : « Le souci de l’intérêt général a guidé mes choix professionnels »

Il y a vingt ans, France Télécom, Total, Vivendi, Alcatel brillaient au firmament de la « bulle Internet ». Vingt ans plus tard, l’appareil productif français s’intègre progressivement dans l’écosystème digital mondial et les valeurs du luxe Kering, Hermès, L’Oréal, LVMH (KHOL, les « GAFAM » françaises selon Bruno Le Maire), au pinacle à la Bourse de Paris, représentent à elles quatre, près de 35 % de la capitalisation du CAC 40 !

Le luxe se rassure

Que ce soient les cosmétiques, le parfum, la bijouterie, la maroquinerie, les objets d’art ou les vins, le luxe a exporté pour 48 milliards d’euros en 2020, se hissant au 1er rang de nos exportations. Plus la crise se durcit, plus le secteur semble se rassurer. Ceci est vraisemblablement dû à la prise de conscience que la richesse est volatile voire éphémère et qu’il vaut mieux en profiter tant qu’on en dispose.

LVMH fait mieux qu’avant la crise

Ensuite, ces groupes, portefeuilles de marques, incarnent-ils la puissance productive hexagonale ? Le secteur au sens strict, qui mobilise des savoir-faire et des compétences rares, non substituables, pour partie ancrées sur le territoire, compte 165 000 emplois. Si la totalité de la filière est prise en compte, il faut compter plus de 600 000 emplois directs et 1 000 000 d’emplois indirects en France, soit 0,3 % de l’emploi salarié marchand, trois fois moins que le secteur automobile malgré l’hémorragie de ses emplois, deux fois moins que l’aéronautique ou 30 % de moins que la pharmacie.

Un univers à deux vitesses

Pas de quoi se réjouir d’autant que ces bons résultats financiers dissimulent, en fait, ceux, peu reluisants, des nombreuses PME, qui forment le tissu économique et l’emploi de notre pays et qui, pour la plupart, ont survécu grâce aux aides publiques d’urgence. Voici la réalité de la vie économique française : un univers à deux vitesses. D’un côté, des firmes transnationales qui peuvent s’appuyer sur une reprise économique hors de France et de l’autre, des entreprises dont l’avenir dépend essentiellement de la capacité de notre pays à avoir des infrastructures de qualité, un système éducatif performant leur permettant de répondre aux enjeux technologiques de demain, en d’autres termes, que notre pays reste une économie attractive et dynamique.

→ LES FAITS. Les Gafam encaissent des profits records

Car cette crise transforme les firmes de deux manières. Elle est le révélateur des forces et faiblesses de leur portefeuille d’activités mais elle est aussi un accélérateur en matière de digitalisation et de transition environnementale. Or, de nos jours, la bourse valorise généralement le génie financier que recèle la valeur actionnariale des groupes qui renouvellent leurs forces et les déclinent à l’international mais oublie malheureusement les entreprises bien moins fringantes qui ont besoin de capitaux pour financer leur expansion. Espérons que la pandémie soit un accélérateur de tendance et que le surplus d’épargne national s’oriente vers ces PME. Elles en ont grand besoin.