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Réintroduction d'ours dans les Pyrénées, pourquoi ne peut-on pas reculer

Alors que l'arrivée d'un nouveau ministre de l'écologie fait craindre l'abandon du projet de réintroduction de l'ours dans les Pyrénées, Julien Bétaille, docteur en droit, rappelle pourquoi l'Etat ne peut plus reculer. Le droit européen s'impose.

Publié le 12/09/2018
Nicolas Hulot a annoncé au printemps dernier, alors qu'il était encore ministre de l'écologie, la réintroduction de deux ours dans les Pyrénées. Sa démission ainsi que la nomination d'un nouveau ministre de l'écologie, dont on ignore encore précisément les intentions, pourrait mettre en péril le projet de réintroduction, d'autant plus que certains élus locaux ont déjà demandé au nouveau ministre d'y renoncer.

Au delà de toute spéculation sur les intentions politiques de François de Rugy, il faut rappeler et expliquer les obligations juridiques européennes qui pèsent sur la France dans ce dossier. Celle-ci est, depuis 2012, sous la menace de l'introduction par la Commission européenne d'un recours en manquement devant la justice européenne. Mais par delà les arguments de la Commission, dont la nature exacte n'est pas connue, la directive "Habitats" de 1992, véritable ossature de la protection de la biodiversité en Europe, implique nécessairement la réintroduction de plusieurs ours dans les Pyrénées.

L'ours brun doit retrouver un état de conservation favorable

Cette obligation européenne de réintroduction trouve avant tout sa source dans la situation factuelle dans laquelle se trouve l'ours brun. On compte aujourd'hui une quarantaine d'ours en France, ce qui reste très réduit. Cette population est considérée comme étant dans un état de conservation "défavorable inadéquat" au regard des critères de l'article 1er de la directive "Habitats". Non seulement, sur un plan quantitatif, le nombre d'ours est insuffisant, mais aussi, sur un plan qualitatif, la forte consanguinité de la population menace sa viabilité à long terme. Seule l'introduction d'individus exogènes pourrait y remedier.

Dans ce type de circonstances, le droit de l'Union européenne peut impliquer une obligation positive d'introduire des individus exogènes. En effet, lorsqu'il s'agit d'une population de taille réduite et que celle-ci n'est pas dans un état de conservation favorable, la directive Habitats impose l'adoption par les Etats membres de mesures positives pour y remédier. Dès lors, la France a l'obligation d'introduire de nouveaux spécimens exogènes d'ours.

La directive Habitat comme base juridique

L'obligation de réintroduction peut d'une part être déduite de l'article 12 de la directive qui prévoit la protection stricte de l'espèce. L'évolution actuelle de la jurisprudence européenne pourrait conduire à admettre que dans de telles circonstances cet article implique de prendre des mesures directes pour que la population augmente et se diversifie.

L'obligation de réintroduction peut d'autre part être déduite de l'article 2 de la directive qui détermine son objectif général. Pour les espèces telles que l'ours brun, il s'agit de leur rétablissement dans un "état de conservation favorable". Or, un tel objectif ne peut être atteint qu'au moyen de l'introduction d'ours exogènes, compte tenu du problème de consanguinité.

Par ailleurs, la directive Habitats impose, comme toute directive, une obligation de résultat aux Etats membres. Le résultat attendu étant clairement fixé à l'article 2, il doit impérativement être atteint par la France. Ensuite, en vertu du principe européen de coopération loyale, tel qu'il est interprété, les Etats sont tenus d'adopter des mesures positives pour la mise en œuvre de leurs obligations européennes.

Enfin, la doctrine jurisprudentielle de "l'effet utile" impose aux Etats membres de tout faire pour assurer l'efficacité du droit de l'Union européenne. Or, ici, l'efficacité passe par des introductions d'ours exogènes, sans quoi le statut de conservation de l'espèce risque de rester défavorable pour encore longtemps.

Avis d'expert proposé par Julien Bétaille, docteur en droit et maître de conférences à l'Université Toulouse 1 Capitole

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2 Commentaires

Pégase

Le 14/09/2018 à 9h35

Le principe de coopération loyale est très régulièrement bafoué par la France dès lors qu'il s'agit de la protection de l'environnement et de la biodiversité en particulier. Les sites, habitats et espèces concernés par Natura 2000 en constituent un exemple parfait. Les divers lobbies ruraux (FNSEA, fédés de chasse, CRPF, pisciculteurs, etc.) ont régulièrement trouvé des appuis politiques nationaux (gel de la procédure par le gouvernement Juppé en 1995) et locaux pour retarder, freiner, et réduire la portée de la mise en oeuvre de Natura 2000. Mais la France ayant failli être sévèrement condamnée pour sa mauvaise volonté, le dispositif s'est mis en place au forceps et, même s'ils manifestent encore médiatiquement contre tel ou tel point (la réintroduction de l'Ours par exemple), ces représentants de ces lobbies s'emparent peu à peu du dispositif en réalisant les documents d'objectifs puis co-gérant certains sites, voire en tirant à titre de propriétaires des revenus de contrats Natura 2000. Tout cela avec la bénédiction de bon nombre de préfets, trop contents de ne plus les avoir à dos mais aussi de faire un mauvais coup aux associations de protection de la nature, sans l'action énergique desquelles le réseau de sites actuel n'existerait pas et la France aurait donc été sanctionnée. Un autre exemple de coopération parfaitement déloyale de certains grands représentants de l'Etat !

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Gaia94

Le 14/09/2018 à 18h31

Il est curieux de voir nos dirigeants actuels clamer le retour à plus d'Europe et , en même temps , laisser les acteurs locaux choisir ce qui les arrange dans les directives européennes! la réintroduction de l'ours ne leur plaît pas ? On la met sous le tapis!! Pareil pour les sites Natura 2000, dont bon nombre d'élus voudraient bien se débarrasser...au grand dam d'une bonne partie de la population qui y habite et ne sait plus vers qui se tourner pour les faire respecter. Cette attitude irresponsable vis à vis de l'environnement va finir , à très court terme, par discréditer définitivement les élus français, accusés à raison par toutes classes de population, de se comporter en petits potentats sans vision.

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